François COLONNA d'ISTRIA

1864-1925


C'est une des lumières de notre Corse, qui vient de s'éteindre discrètement, un anniversaire de haute intelligence qui disparaît, après une carrière poursuivie sans tapage, mais admirablement remplie.

Issu du collège d'Ajaccio, puis étudiant en Faculté à Aix, il arrive par étapes successives, passant par Oran, Besançon, Lyon, à occuper une chaire de philosophie au lycée Louis le Grand, où il enseignait  depuis quinze années. Entre temps, il fut membre du jury d'agrégation de philosophie, exerçant par là une sorte de magistrature intellectuelle des plus ardues, à côté des maîtres de la science française.

Ses travaux l'avaient vite mis en valeur.

Une étude sur Pinel, des vues intéressantes sur les vieux médecins français, précurseurs de la physio-psychologie contemporaine avait attiré sur lui l'attention du monde savant. Son mémoire sur Philon le Juif fut couronné par l'académie des sciences morales et politiques. L'édition qu'il donna, avec commentaires continu de l'Éthique de Spinoza consolida sa réputation de philosophe averti et au courant de tous les problèmes qu'agite la pensée moderne.

Mais l'homme chez lui valait le savant.

Une âme ardente, un esprit délié et puissant dans un corps fragile et qu'une sorte de paralysie des membres inférieurs affecta gravement dans les dernières années, voilà ce qui évoque aujourd'hui dans notre souvenir ému. Sur ce corps émacié, une belle tête régulière, aux lignes expressives, qu'illuminaient des yeux clairs, avec un sourire qui savait cacher la souffrance, sous un masque stoïque.

Il était tout spiritualité et si j'ose dire, en même temps tout tendresse. Adoré de ses élèves que jamais son infirmité physique ne porta à la moindre marque d'indiscipline ou d'irrespect, infiniment apprécié de ses collaborateurs et de ses collègues, il se faisait aimer par le charme extraordinaire qui émanait de lui.

Il aimait lui même ses amis avec fougue, faisant preuve, à l'occasion d'une délicatesse morale rare.

Je me souviens qu'ayant eu l'idée de pousser la candidature d'un des ses compatriotes -que je connaissais bien- à un siège vacant au Conseil académique de Lyon, bien qu'il se fut assuré d'avance du concours d'Édouard Herriot, de Mario Roustan et de quelques collègues éminents, il s'effara de l'annonce d'une autre candidature adverse et qu'il jugeait redoutable. Il prit peur pour son candidat. Et, le soir du scrutin, il nous avouait ses transes pensées et qu'il  n'avait pas dormi de la nuit.

Ce cérébral avait un grand cœur.

Écrivain, métaphysicien, éducateur, il a honoré l'Université Corse, il honore le Corse, qui peut admirer et reconnaître en lui un de ses plus noble enfants.

Léon GISTUCCI, Inspecteur d'Académie du Var.

La jeune Corse, janvier 1926


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