LE « DIVIN PROPHETE » ET LE PREFET
Par Paul SILVANI
Il
était une fois, et c’était sous Si Franceschino ne se rend pas à Moca le 19 juillet, il fait toutefois savoir -c’est le juge de paix du canton qui l’écrit au préfet- qu’après trois jours de jeûne et de pénitence, le Seigneur lui est apparu e lui a annoncé : 1. Le 6 août un nouveau soleil paraîtra sur l’horizon ; 2. Le 8 septembre les morts ressusciteront dans la chapelle de la vierge à Vignale, paroisse de Sollacaro et Calvese. Tout à son zèle, Franceshino écrit le 26 juillet au préfet Jourdan du Var une lettre signée « Votre frère en Jésus Christ, le Divin Prophète François ». En voici le texte intégral : « J’ai annoncé que le 6 du mois d’août prochain doit paraître sur l’horizon un nouveau soleil qui étonnera l’univers, et que le 8 du mois de septembre suivant doivent ressusciter les morts pour parler à ma place afin que le monde tremble sous la puissante main de Dieu. Je suis certain de ce que je prédis, comme je le suis de ma propre existence. Je désire, avec toute l’ardeur de mon âme, que cette prédiction se publie partout avant l’époque de son accomplissement et parvienne même jusqu’aux oreilles du souverain. Pour cela, j’ose prier toutes les autorités de Corse de se prêter à l’œuvre du Seigneur en se mettant d’accord à ce que le Prince qui nous régit avec tant de sagesse soit prévenu de l’époque. Un
évêque circonspect « Je me dévoue à l’animadversion de la loi et je me remets volontairement entre les mains de la justice pour subir les peines qu’elle inflige aux coupables comme moi si les miracles annoncés n’arrivent point aux époques que j’ai fixées avec tant d’assurance ». Jourdan du Var suit de près l’évolution des choses. Il ne voit pas le 6 août un soleil différent des autres jours, mais il reçoit le 13 une lettre du capitaine de gendarmerie d’Ajaccio, alerté par le commandant de la gendarmerie d’Olmeto : « J’ai appris de la bouche du maire que, le 6 août, le curé de Calvese a chanté la messe en l’honneur Franceschino parce qu’il a trouvé que le soleil n’était pas le même, et que ce miracle était de lui. Les gendarmes sont allés chez le curé, il leur a dit que c ela était vrai et que Franceschino devait être honoré comme un saint. Ce prêtre est l’un des plus empressés à donner de la publicité aux jongleries du bandit Franceschino ». En
conséquence de quoi le préfet alerte le ministre de Jourdan du Var avait aussi, les 3 et 5 août, écrit à l’évêque Casanelli d’Istria. Mais la réponse ne viendra qu’une fois une minutieuse enquête achevée : « Vous savez aussi bien que moi toutes les difficultés q ui entravent la recherche de la vérité. Dans notre malheureux pays, un sage lenteur est parfois nécessaire pour laisser se dissiper d’eux-mêmes les nuages qui l’environnent ». Entre temps, le trouble a gagné les esprits et l’ordre public risque d’en souffrir. Le rapport de gendarmerie du 16 juillet avait d’ailleurs prêté au curé de Moca un propos selon lequel « cent mille baïonnettes n’arrêteraient pas » Franceschino dans sa marche à l’église. Mais le juge de paix de Petreto avait tempéré cette opinion. Il avait écrit une semaine plus tard au préfet que si tous les ecclésiastiques de la région croyaient fermement aux miracles annoncés par Franceschino, aucun d’entre eux ne s’opposeraient à l’application de la loi. Fort
de cette assurance, le préfet prend résolument la tête des voltigeurs
(compagnie de gendarmes mobiles recrutés dans l’île) et se rend à
Sollacaro-Calvese. Plus tard, il s’attachera à faire oeuvre
d’historien en relatant son glorieux fait d’armes dans une lettre
au
ministre de En fait, Franceschino s’était dès le 14 août rangé au sage conseil de l’évêque, qui lui avait conseillé de quitter l’île, précisant au préfet qu’il avait bien rencontré le « prophète », mais ne lui avait donné aucune croix d’or, ni d’argent, ni de cuivre ». Comme
on dit aujourd’hui, l’affaire était donc « pliée »
avant l’expédition de Sollacaro. Quant aux mots
de Calvese, le jour et l’heure de Corse hebdo. 6 septembre 2007 |