Ordre de Saint-Lazare
L'Ordre de
Saint-Lazare prend son nom du Lazare qui fut ressuscité par Notre-Seigneur,
comme il se voit dans l'Évangile de Saint-Jean. Et les Lépreux ou Ladres
l'ayant pris pour Patron, l'on a communément appliqué aux Hospitaliers de cet
Ordre, le titre de Maladrerie, Léproserie, Ladrerie, Lazaret, ou Maison de
Saint-Lazare.
Ceux qui étaient infectés de cette maladie contagieuse étaient séparés des
autres personnes, selon la Loi de Dieu. Et ils devaient demeurer hors les
villes, suivant la Loi établie en Samarie, rapportée par Joseph en ses
Antiquités Judaïques.
Les Lépreux étaient tenus par les Règlements de ce Royaume, de prendre la
qualité de Ladres dans les Actes publics qu'ils passaient, et il leur était défendu
d'aspirer à aucune charge publique, dont ils devaient se démettre en cas
qu'ils en fussent pourvus. Il y en a un exemple dans un Arrêt de l'Échiquier
de Normandie, pour un Sergent du ressort du Pont-Audemer. Et l'article 274 de la
Coutume de cette Province contient que celui qui est jugé devoir être séparé
pour maladie de Lèpre, retient l'héritage auquel il succède seulement par
usufruit sans le pouvoir aliéner.
Les auteurs qui ont écrit de l'ancienneté de cet Ordre, en établissent le
dessein et le fondement dès le premier Concile célébré à Jérusalem par les
Apôtres avant leur séparation l'an 34 de la Naissance de Jésus-Christ; où
après qu'ils eurent ouï les plaintes qui étaient faites sur l'administration
des annonces, et qu'ils eurent considéré que la prédication de la parole de
Dieu ne leur permettait pas de vaquer aux ministères extérieurs, et au secours
que la miséricorde doit au prochain, ils jugèrent à propos de s'en décharger,
comme il est porté dans les Actes des Apôtres. Et pour cet effet, ils élurent
en même temps indifféremment du nombre des Juifs et des Gentils, des personnes
illustres en vertu, comme Saint-Étienne, Philippe, Procore, Nicanor, Timon,
Parmenas, et Nicolas d'Antioche, auxquels ils confièrent la recette et la
disposition des charités publiques, et généralement tous les exercices des
oeuvres de miséricorde. Tellement qu'on peut compter ceux-ci pour les premiers
Hospitaliers de la Religion, qui a depuis porté le nom de Saint-Lazare.
Sans remonter dans les siècles si éloignés, on peut dire que l'établissement
de l'Hospitalité et des lieux pitoyables de cet Ordre, a commencé par les
soins de Gérard de Thon Provençal, natif de l'Ile de Martigues, qui a été le
premier Grand Maître et Commandeur qui favorisa la prise de Jérusalem conduit
par la valeur de Godefroy de Bouillon le Vendredi 15 Juillet de l'année 1099.
De Grec cet Ordre se rendit Latin, changeant la règle de Saint-Basile en celle
de Saint-Augustin: ce qui fut fait avec l'aveu des Papes Gelase II et Calixte II.
Et depuis il fut approuvé par Grégoire IX comme il se voit par leurs Bulles.
Raimond du Puy étant élu Supérieur de cet Ordre, il composa de nouvelles
constitutions, qu'il fit approuver l'an 1123 à Calixte II ajoutant à son
institut la profession des trois voeux de Religion.
Pendant que ces Chevaliers vivaient dans la Terre Sainte, exerçant avec zèle
la fonction de leur Ordre, la nouvelle vint en France d'une irruption que les
Egyptiens et les Arabes avaient faite dans la Galilée et dans la Syrie. Cette
triste nouvelle émeut le zèle et le courage du Roi Louis VIII dit le Jeune, et
le porta à solliciter le Pape Eugène III qui avait été Moine de Cisteaux
d'assembler un Concile, et de pourvoir de remède aux violences qu'exerçaient
les Infidèles contre les Chrétiens. Ce Concile fut tenu à Vézelay l'an 1145
le Pape et le Roi y assistèrent en personne, Saint-Bernard Abbé de Clervaux y
harangua avec véhémence, et d'un commun avis des Prélats et des Princes, on
conclut une expédition en la Terre Sainte. Le Roi Louis y alla, et l'an 1148
amena ces Chevaliers Hospitaliers en son Royaume, et leur donna l'an 1150 une Église
dans Paris.
Les voyants résolus de faire un Corps de leur Compagnie en France, sans préjudice
néanmoins de l'obéissance qu'ils devaient à leur Grand Maître, qui était
demeuré dans la Terre Sainte en la ville d'Acre, alors Siège principal de leur
Religion; il leur donna son château de Boigny situé près d'Orléans, pour y
établir leur Chef et Supérieur deça les mers. François le Maire dans ses
Antiquités de la ville d'Orléans, et René Chopin en son livre de Sacra
Politia, font mention de cette demeure de Boigny ou Bony. Les Lettres de cette
donation paraissent encore aujourd'hui datées de l'an 1154 et signées de
plusieurs grands Officiers.
Enfin cet Ordre se trouvant en un déplorable état dans le Levant, il perdit
par l'invasion du Turc l'Hôpital de Constantinople, et celui de Saint-Samson
qu'ils avaient à Corinthe dans la Morée.
Cet Ordre ne subsiste donc plus que dans l'Europe, et la France a maintenant son
Siège principal.
Les Papes notamment Jean XXII, Grégoire X, Paul II et Urbain VI l'affermirent,
et le favorisèrent de plusieurs grâces et privilèges. La forme du
gouvernement de cet Ordre fut observée jusqu'à la fin du 15 siècle, dans
lequel la rigueur des Constitutions fut relâchée par le malheur du temps, et
par l'instabilité de toutes les choses humaines que ne sauraient longtemps
subsister dans la perfection: les Frères de cet Ordre prenant la liberté de se
marier, se prévalurent de la négligence que l'on apportait à maintenir les
biens vacants de l'Ordre, et à y pourvoir des Sujets capables, ce qui leur
donna lieu de transférer dans leurs Maisons profanes celles de la Religion, et
de se les rendre héréditaires.
Il semblait alors, que cet Ordre fut mis en proie au premier occupant: la Bulle
du Pape Innocent VIII de l'an 1489 le fait assez connaître; car il le supprima
pour l'unir avec ses biens et privilèges, à celui de Saint-Jean de Jérusalem.
Ce qui fut confirmé par autre Bulle de Jules II de l'an 1505.
L'Empereur Charles-Quint obtint du Pape Léon X le rétablissement de cet Ordre
dans les Royaumes de Sicile et de Naples, et notamment la réunion des Hôpitaux
de Capoue, et Messine et de Panorme, nonobstant l'extinction faite par Innocent
VIII.
Philippes II Roi d'Espagne, eut recours au Bien Heureux Pie IV pour obtenir la
Bulle qui commence inter assiduas, en date de 1565 par laquelle il rétablit
absolument l'Ordre de Saint-Lazare; nonobstant la réunion de toutes les
Commanderies, Hôpitaux et Chapelles qui se trouveraient dans les États; sous
un Chef qu'il fit nommer à sa dévotion, savoir Jeannot de Castillon Milanais
son Sujet.
Le même Roi Philippes se prévalant de l'inclination que le Pape Pie IV lui témoignait
à cause de la victoire de Lepante remportée par Jean d'Autriche son frère
naturel, impétra de lui en faveur de Jeannot de Castillon, une très ample Bulle
l'an 1572 qui commence Injunctum nobis.
Jeannot de Castillon étant décédé à Verceil ville de Piémont, où Emanuel
Philebert Duc de Savoie l'avait gracieusement attiré, il obtint l'an 1572 la
grande Maîtrise du Pape Grégoire XIII auquel il exposa que l'Ordre de
Saint-Lazare était presque éteint et ruiné, qu'il était sans Chef et sans
appui, et que si sa Sainteté lui voulait accorder l'union de cet Ordre et de
ses biens à celui de Saint-Maurice, dont il avait obtenu l'institution
un mois auparavant du même Pape: et outre, s'il lui plaisait de lui en
attribuer la qualité de Grand Maître et à ses successeurs Ducs de Savoie, il
s'obligerait d'entretenir deux Galères au Port de Villefranche de Nice contre
les Infidèles et les Pirates, à la disposition du Saint Siège; et promit
aussi d'établir, comme il fit, deux demeures pour ces Chevaliers à Nice et à
Turin.
Le Pape attiré par ces offres, lui fit expédier une Bulle au mois de Novembre
l'an 1572 qui commence pro commissa; par laquelle il lui accorda ses demandes,
à l'exception toutefois des biens de Saint-Lazare qui se trouveraient dans les
États du Roi Catholique.
Le Duc de Savoie ayant obtenu ce qu'il désirait du Saint Siège, prit
possession sans difficulté des Commanderies de Saint-Lazare, qui étaient en sa
puissance, et les unit à l'Ordre de Saint-Maurice nouvellement institué par la
Bulle du même Grégoire qui commence, Christiani populi corpus, en date du mois
d'octobre 1572, s'attribuant le titre de Grand Maître des Ordres de
Saint-Maurice de la légion de Thèbes, et de Saint-Lazare de Jérusalem: mais
il n'a jamais été reconnu par la France, ni hors de ses États, pour Chef de
l'Ordre de Saint-Lazare.
Charles Emanuel Duc de Savoie, fils et successeur de Philebert Emanuel suivant
le dessein de son père, obtint une autre Bulle du Pape Clément VIII qui
commence Romanum Pontificem, donnée à Rome le 9 Septembre 1603 laquelle
confirme tous les privilèges de l'Ordre de Saint-Lazare avec les Bulles de Pie
IV et de Grégoire XIII.
Pour découvrir évidemment la nullité de ces procédures, il importe
d'observer que toutes les Bulles émanées au préjudice de cet Ordre, tendances
à sa suppression, ou à son union avec ceux de Saint-Jean et de Saint-Maurice,
ont été accordées in forma gratiosa, et sans ouïr les personnes intéressées.
Ce qui répugne aux Constitutions Canoniques, et aux Décrets des Conciles, spécialement
de ceux de Constance et de Trente, qui déclarent toutes celles de cette nature
subreptices, et qui défendent toutes annexes et unions de bénéfices sans
contestation de cause.
Dès l'année 1547, la France commença à découvrir clairement les usurpations
qu'on faisait sur l'Ordre de Saint-Lazare, sous prétexte des Bulles d'Innocent
et de Jules: le Grand Maître Claude de Mareuil et les Chevaliers de cet Ordre
en firent plainte au Roi Henry II et se pourvurent en la Cour de Parlement
contre l'extinction de cet Ordre, et son union à celui de Saint-Jean, dont
s'ensuivit un Arrêt rendu le premier Mars, qui déclara abusives l'extinction
et l'union, et par conséquent les Bulles inutiles et sans effet, pour n'avoir
point été exécutées selon la forme des Décrets du Concile de Constance.
On n'ignore pas que les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem n'aient
obtenu dans Lyon des Lettres patentes du Roi Henry III de l'an 1574 qui était
le premier de son règne, confirmatives de la réunion qui s'était faite avec
leur Ordre de quelques Commanderies de celui de Saint-Lazare, dont ils
jouissaient en vertu des Bulles d'Innocent VIII et de Jules II. Mais depuis, ce
Prince révoqua ces Lettres, et nomma Aimar de Chattes Grand Maître de cet
Ordre, et le maintint en la Commanderie de Bony contre celui de Malte, qui en
avait pourvu un de ses Chevaliers l'an 1586 comme l'a remarqué René Chopin.
Philebert de Nerestang fut appelé par le Roi Henry IV l'an 1606 à la charge de
Grand Maître de l'Ordre de Saint-Lazare, et Sa Majesté l'envoya au Pape Paul V
pour traiter avec lui du rétablissement et de la conservation de cet Ordre dont
il se protestait restaurateur. Le Pape trouva bon pareillement d'ériger à
l'instance du Roi l'Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel, ce qu'il fit par sa
Bulle qui commence Romanus Pontifex, en date des Calendes de Mars l'an 1607 et
fit union du même Ordre à celui de Saint-Lazare; Ensuite de quoi, le Roi donna
au même sieur de Nerestang, les provisions de la Charge de Grand Maître des
deux Ordres, en date du mois d'Avril 1608.
Enfin le Roi Louis le Grand, par ses Édits du mois d'Avril 1664 et du mois de Décembre
1672 vérifiés au Grand Conseil le 20 Février 1673 unit pareillement à la
Communauté de ces deux Ordres de Saint-Lazare de Jérusalem et de Notre-Dame
du Mont-Carmel, les Ordres Hospitaliers du Saint-Esprit de Montpellier, de
Saint-Jacques de l'Épée, de Saint-Jacques de Lucques, du Saint-Sépulcre, de
Sainte-Christine de Somport, de Notre-Dame Teutonique, de Saint-Louis de
Bouchereaumont, et autres.
Ces Édits et les Arrêts rendus en conséquence, ont été confirmés par la
Bulle de Mr. le Cardinal de Vendosme Legat à latere en France, du Pape Clément
IX en date du mois de Juin 1668.
Les Chevaliers de cet Ordre de Saint-Lazare à la différence des Clers peuvent
maintenant se marier en observant la chasteté conjugale. Ils font preuves de
Noblesse de quatre Races paternelles et maternelles, et portent la Croix d'or
à huit pointes pommetées. Le ruban est de soie violette ou amarante.