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les plus illustres dans l’en deçà des monts, qui l’avait servi avec une fidélité à toute épreuve, l'avait aidé ans sa lutte contre Abraham Fregoso, avait fortement contribué à la  prise des châteaux de l’au delà comme à la répression de plusieurs révoltes et s'était toujours montré guerrier courageux et habile (1). Le Comte avait pour lui une affection particulière (2) et il la .méritait. Malheureusement les préférences de l'homme qui détient le pouvoir pour un de ses sujets ont toujours eu dans notre pays l'inconvénient de susciter la jalousie  des autres. Il devait fatalement arriver que caporaux et vassaux du Comte prissent ombrage de cette faveur et ce fut là l'origine d'une série d'incidents au cours desquels le prestige et l'autorité du représentant de l'Aragon s'affaiblirent peu à peu et finirent par l'éloigner de la Corse. A partir de 1430 les vont reparaître et par la faute de Vincentello ou de ses adversaires, par l'indifférence de son suzerain à cette période exceptionnelle de paix.

L'anarchie et la révolte devaient d'ailleurs trouver un aliment à la fois dans les haines que la politique du Comte avait suscitées et dans la tranquillité dont jouissait la République à cette époque (1429). Les Génois devaient regretter la domination de la Corse, conquise l'Aragon et s'efforcer de la reprendre dès qu'ils en auraient les moyens. Or l'archevêque de Milan, qui administrait leur cité, avait fait renaître une prospérité en facilitant les transactions garnissait le trésor public. Le moment d'agir était ainsi venu ; le roi d'Aragon se trouvait occupé ailleurs ; de leur côté Polo della Rocca et Renuccio de Leca, dépossédés par le Vice-roi, obligés de se cacher dans le maquis comme des bandits (1),

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(1) La victoire de Biguglia en Juin 1420, qui eut pour conséquence le triomphe définitif du Comte d'Istria sur les Génois, fut due surtout  au courage de Lucien de Casta. Cf. Chronique, p. 278.

     (2) Chronique, p. 287 : Quello di che il Comte facieva più canto e amava di cuore era a Luciano da Casta, il quale li erra stato sempre fidele­... si che Luciano era amato più che ogni altro

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étaient prêts à renforcer le parti des Génois.

La guerre était donc imminente. Un simple incident en fut l'origine. A propos de futilités une dispute éclata un jour dans l'entourage du Comte entre un homme de la clientèle de Lucien de Casta et un serviteur de l'évêque d'Aléria, Ambroise. Leur querelle s'envenima au point de dégénérer en mêlée entre les soldats des deux personnages qui durent intervenir. Le conflit fut apaisé, mais les deux camps conservèrent leur animosité qui s'étendit à la Corse entière. L'évêque profita de la jalousie qui animait les caporaux contre Lucien de Casta pour nouer un véritable complot dans lequel entrèrent plusieurs personnages de la Terre des Communes, Renuccio de Leca et Polo della Rocca. Jean de la Grossa fut choisi comme vicaire et chargé de gagner à la cause des mécontents Simon da Mare, seigneur de San Colombano, de Centuri et de Capraia, dont ils firent un gouverneur (février 1430).

La révolte s'étendit bientôt à  toute la région nord-est de l'île. Il fut impossible au Comte de se maintenir en plein pays ennemi. Il ut se retirer en Cinarca pour y rassembler des renforts, laissant à Lucien de Casta la garde du château de Pietra all'Arata et la mission de maintenir sa domination dans l'en deçà des monts. Les rebelles, renforcés par quelques soldats recrutés dans la Rivière de Gênes, remportèrent d'abord quelques succès ; Ils obligèrent Biguglia à capituler, se firent payer par les habitants de la contrée les tailles habituelles, mais la division ne tarda pas à se mettre dans leurs rangs. La jalousie désunit ceux qu'elle avait groupés et l'habileté diplomatique de Casta fit le reste. Il gagna quelques révoltés à la cause de l'Aragon, obligea les autres à abandonner Biguglia et Borgo, le seigneur da Mare à se retirer dans ses terres

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(1) Chronique, p. 288 : Andavano alla selva come inimici e bandeti del Conte,

     (2) ldem, page 250 : Arrestò il conte signore di Calvi a Covasina e de la fogia di Sia e la pieve di Vico fino a Baragi

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et au début de 1431 l'autorité de Vincentello était encore une fois rétablie partout. De son côté il s'était réconcilié avec Renuccio de Leca, dont il craignait avec raison les idées de vengeance et lui avait à nouveau confié le gouvernent de la piève de Vico en lui faisant épouser une de ses filles.

Cette révolte paraît avoir augmenté la nervosité du comte d'Istria. Pendant les trois années qui vont suivre et terminer sa carrière, il semble que la colère l'ait mal conseillé et poussé à des actes qui lui feront perdre le bénéfice de ces dix années de gouvernement juste et pacifique dont les Corses lui étaient redevables. Il espère en imposer à ses adversaires par la sévérité ; il ne ménage ni ses parents, ni ses amis, ni ses sujets. Il va préparer lui-même la catastrophe dans laquelle sombrera son gouvernement.

C'est ainsi que les plus fidèles partisans de sa domination ont à supporter de mauvais traitements. Son frère Jean lui a rendu de signalés services, tant sur mer que sur terre ; il lui a confié la garde de Bastia, dont l'importance est capitale. La citadelle surveille la Terre des Communes au sud et la région hostile du Cap au nord. Dans le but de remplir plus facilement sa, mission, Jean d'Istria en 1431 s'entend avec les deux fils de da Mare qui viennent de se révolter contre leur père et d'accord avec le seigneur de Brando, beau-père de Vincentello, il fait épouser à l'un sa nièce, à l'autre une de  sœur de ce seigneur. Cette alliance de famille était sans doute de bonne politique, mais le Comte n'en manifesta pas moins un vif mécontentement. En sa qualité de suzerain et de chef de la maison d'Istria, il aurait dû être consulté. Il manda près de lui à Biguglia le gouverneur de Bastia et à son arrivée lui reprocha amèrement de n'avoir pas pris conseil près de lui, le retint prisonnier ainsi que son fils et ne les remit en liberté qu'après s’être fait rendre Bastia.

Cet acte de tyrannie dut inquiéter tous les vassaux. Si le comte se comportait de cette manière envers ses

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parents les plus rapprochés, quel traitement, les étrangers pouvaient-ils en attendre ? Vincentello se hâta de les renseigner. Il se rendit coupable d'une faute contre l’honneur que les Corses de ces temps primitifs ne pardonnaient jamais (1). Il s'éprit d'une jeune fille de Biguglia, célèbre par sa beauté et issue d'une famille de petite noblesse qui s'était fiancée à l'un des plus riches parmi ses compatriotes. En dépit de cet obstacle, Vincentello que la passion aveuglait s'empara d'elle et la violenta. Un tel excès aurait en d'autres temps suscité une révolte immédiate, mais la puissance du criminel était encore si grande que les habitants de la Corse, malgré leur indignation, attendirent une occasion favorable pour se soulever (2).

Le Comte allait du reste la leur fournir. Il venait de former le projet de se rendre auprès du roi d'Aragon, soit qu'il en eut reçu l'ordre, soit qu'il eût eu besoin de solliciter à nouveau l'intervention de son suzerain. Pour un tel voyage, il fallait à la fois trouver des vaisseaux et les armer. Vincentello crut pouvoir recourir à ses vassaux. Il décida que les habitants de la Cinarca, contrée riche en forêts, couperaient le bois nécessaire à la construction de deux galères et le transporteraient à la côte, tandis que son frère Jean, auquel il avait pardonné, imposerait la corvée d'un troisième vaisseau aux populations des environs de Bastia. Ces mesures provoquèrent de vives protestations en Cinarca et dans le pays compris entre Biguglia et Lavasina. Le Vice-roi n'en tint aucun compte. Il laissa la haine s'accumuler dans le cœur de ses sujets et les préparer à la révolte (3).

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(1) Chronique de Giovanni della Grossa, p. 292 : Massime che la nattione corsa sono terribili e strani superlativamcnte di le cose di le donne gic1osissimi.

(2) Les historiens sont tous d'accord pour déclarer que cet acte du Comte fut une des causes déterminantes de la révolte. (Cyrnée, Gio­vanni, etc.).

(3) Chronique de Giovanni della Grossa p. 291: Per il quale venne ad essere molto odiato da tutti li vassali del paese .... Giovanni era medesimamente mal volsuto da Biguglia e per fino a Lavasina

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