La seigneurie d'Istria

 


Une région comme une métaphore de l'histoire corse (Kyrn, Promenades dans l'Istria. 1991)


Comme le note le Gouverneur Giorgio Centurione en 1613, les feudataires d'Istria sont seuls seigneurs absolus «tant au civil qu'au criminel» dans le sud de la Corse, les Bozzi et les Ornano n'ayant plus désormais que le simple nom de seigneur et un pouvoir fiscal. Cette ligne de partage, apparue au lendemain des guerres du milieux du XVIème siècle, fera l'objet de nombreuses représentations de la part des feudataires des trois Pievi, y compris des Maréchaux d'Ornano travaillant pour le roi de France. En vain, car la Sérénissime restera sourde aux différents appels.

Les taglie imposées par les seigneurs d'Istria demeureront plus lourdes que partout ailleurs dans l'île. Leur justice restera souveraine et sans appel en dehors de la Banca comune, dont ils sont les maîtres. Ce que les textes décrivent durant toute l'époque moderne sous le terme générique de «merum et mixtum imperium sin appelationum»: «la Banca appelée vulgairement comune, témoigne ainsi en 1623 Bartolome Stalla d'Ajaccio, qui fut chancelier et Lieutenant de la seigneurie, était et est un tribunal dans lequel se décide toutes les causes d'appel présentées par les vassaux ou tout autre personne». Enfin, et surtout, les officiers de la seigneurie, Lieutenant et Chancelier, seront seuls en Corse à ne pas être soumis au contrôle des actes ou Sindicato, malgré les protestations des populations comme des officiers génois locaux.

La Sérénissime ignore pratiquement tout de ce qui s'y déroule dans toutes sortes de domaines, que ce soit le partage des terres de la plaine du Taravo entre seigneurs et vassaux comme dans celui du dénombrement de la population existante. A tel point que le négociateur envoyé par Gênes en mai 1614, le Gouverneur Giorgio Centurione, sera constamment obligé de faire réaliser, et dans la plus grande précipitation, études, cartes et plans.

Valle et Cruscaglia

Les limites de la seigneurie d'Istria sont longtemps demeurées fluctuantes. Elles ont fait l'objet de nombreuses contestations à la fin du XVème siècle entre seigneurs d'Istria et de la Rocca, au moment des guerres des Cinarchesi. Il faut dire que les seigneurs de la Rocca symbolisent largement la révolte contre l'Office de Saint Georges et ceux de l'Istria, au contraire, l'adhésion au même office. Aussi obtiennent-ils plus souvent qu'à leur tour gain de cause. Lorsque les choses se stabilisent, la seigneurie apparaît sous sa forme définitive, composée des pievi de Cruscaglia et de Valle, séparées par la Bocca di Cilaccia (ou Celacia).

La pieve de Valle est à la fois au centre et en périphérie de la seigneurie. Au centre, parce qu'on y trouve le château d'Istria, lui-même, édifice perché abandonné définitivement au lendemain des Guerres du milieux du XVIème siècle. En périphérie parce que cette pieve ne forme pas vraiment un ensemble et parce que le centre de gravité de la seigneurie passe alors à Bicchisano, dans la pieve de Cruscaglia. Celle-ci, appelée aussi Corsicaglia, est plus peuplée et compte sept villages en 1530 lorsque Monseigneur Giustiniani la décrit. Les seigneurs habitent presque tous Bicchisano même. Ils possèdent leur maison-tour et toute une infrastructure agricole, enclos, paillers, moulins, ruches, etc. que leur Lieutenant Francesco Bonaparte, décrit avec force détails au cours du soulèvement anti-féodal de 1613. La puissance seigneuriale y est représentée par le bétail gardé en «société» par quantité de bergers dans un vaste périmètre. Pas moins de 4 000 têtes de bétail seront ainsi enlevées au cours de la révolte, selon différentes estimations. Cette domination est remise en cause par l'Évêque Giustiniani, parfait représentant de l'Église  qui s'appuie sur une remise en cause des usurpations des seigneurs d'Istria au détriment de l'abbaye de Mocà, de la même façon qu'il conteste dans la seigneurie  Bozzi-Ornano, la légitimité de l'emphytéose octroyée par le Sénat à Raffé de Bozzi en 1562. 

Cette cohérence ne se retrouve pas dans la pieve de Valle. Elle compte deux centres au XVIIème siècle, le centre politique est Sollacaro où résident quelques seigneurs. Le centre humain est Olmeto, même si son expansion est freinée par la prise de la communauté en 1617 par les turcs. Elle est plus tournée vers l'agriculture du fait de sa proximité avec la riche plaine du Taravo, qu'elle partage avec les populations des trois pievi. C'est là que, selon Monseigneur Giustiniani et différents témoins contemporains, les seigneurs entretiennent de magnifique troupeaux de chevaux...

C'est des communautés de l'Olmeto et de Pianello, situées à la limite des seigneuries d'Istria et de la Rocca que les habitants qui se présentent comme «ayant toujours été les vassaux, très fidèles et très obéissants des seigneurs d'Istria» («sono sempre stati fidelissimi et obedientissimi vassili a detti signori d'Istria») sonnèrent la révolte (1602-1604-1605), des mauvais traitements que leur font subir depuis tant d'années les seigneurs «dans leurs biens, dans leurs personnes et, (ce qui est pire) dans leur honneur». Ils préfèrent, disent-ils au Commissaire, vivre mille morts que d'«être encore sujets à ces seigneurs d'Istria» et demandent à l'officier d'accepter leur dédition à la Sérénissime. Sans succès. De même en 1611, ce sont ces mêmes populations  d'Olmeto et Pianello qui sont à l'origine des deux tumultes successifs.

Ainsi va la vie. Gênes pardonna toujours aux feudataires d'Istria  leurs "erreurs" comme étant, à défaut, leurs alliés naturels et Pascal Paoli   U Babbu di a Patria, ne s'appuya-t-il  pas, lui aussi, au cours de la guerre de Quarante ans, sur les Colonna d'Istria ?


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