François COLONNA d'ISTRIA

 

1864-1925


 

François Colonna d'Istria  était né à Sollacaro, en Corse, il fut boursier d'agrégation auprès des Facultés d'Aix et de Lyon. Reçu agrégé de 1885, il enseigna la philosophie successivement à Oran, à Bar-le-Duc, à Besançon, à Lyon. Appelé à Pâris en 1904, i1 professa au Lycée Carnot avec le plus grand succès. Depuis 1911, il était devenu, au  lycée Louis le grand, le professeur de philosophie de la première supérieure. Il y a préparé au concours de l'école normale des générations d'élèves. Il enseignait, en même temps, à  l'École normale de Fontenay­aux-Roses.

 

François Colonna d'Istria a publié une traduction de l'Homme de génie de Lombroso, la traduction de l'Éthique de Spinoza faite par le comte de Bougainvilliers, une série d'articles sur les vieux médecins français qui ont paru dans cette revu même et qui doivent être réunis en volume. Il avait pris part au concours pour le prix Victor Cousin que l'Académie des sciences morales et politiques avait institué sur Philon le Juif. Ce prix fut partagé en 1896 entre son mémoire et celui d'Édouard Herriot. Ce mémoire devait lui servir de thèse française. Il figure encore dans les papiers inédits, revêtu des signatures de Paul Janet et d'Himly ! Colonna d'Istria, n'a jamais pris le temps d'achever sa seconde thèse. Il travaillait, au moment de sa mort, à une traduction du Prince de Machiavel. L'ouvrage était à peu près  achevé. Ceux qui l'ont connu savent à quel point son œuvre écrite représente une faible partie de lui même.

 

La nature avait été pour lui à la fois cruelle et prodigue. Elle lui avait donné un corps douloureux. Noué, dès l'enfance, Colonna avait conservé les dimensions d'un nain. Sa colonne vertébrale était péniblement tordue. Ses jambes supportaient mal le poids de son torse. A la fin de sa vie, tout déplacement lui devenait très difficile. Avec cela une merveilleuse tête où luisaient des yeux qui lançaient l'éclair et dans laquelle s'agitaient la pensée la plus nette et la volonté la plus énergique.

 

Colonna ne dormait presque pas, il en avait profité pour tout étudier et tout lire. Il était versé dans toutes les sciences, il possédait de plus, une connaissance extrêmement étendue des diverses périodes de l'histoire de la pensé. Sa bibliothèque était riche de livres rares qu'il avait amassés avec un amour extrême, il les avait lus, édités, classés. Il en parlait à ses intimes avec une sûreté de mémoire, une lucidité de jugement, une fougue de jeunesse et de vie qu'il a conservées jusqu'à ses derniers moments. Qui dira sa conversation, si riche de points de vue, si pétillante d'idées, animée de la plus grande bienveillance, de la plus extrême  bonté ?

 

Quant à ceux qui ont été ses élèves et dont beaucoup sont aujourd'hui des maîtres, ils ont gardé de lui une profonde impression. Il disparaissait presque entièrement dans sa chaire, d'où émergeait seule sa tête si expressive. Il jouissait malgré cela, d'une autorité si grande qu'on n'hésita pas, jadis, à l'envoyer à Lyon pour rétablir l'ordre et le goût du travail dans une immense classe indisciplinée. C'est là que, le jour de son arrivée, i1 posa sa montre sur la chaire dit aux élève «  vous avez cinq minutes pour rire», attendit cinq minutes pleines dans un silence  devenu religieux, puis commença ses cours que jamais rien  ne devait plus troubler. C’est que sa parole était passionnante. Il savait mettre un problème dans sa pleine lumière. Il en montrait avec une lucidité merveilleuse tous les aspects historiques. Il soulevait les esprits, il les forçait à penser.

 

Ceux qui ont eu la chance de son amitié ne l’oublieront pas. Ils savent qu’avec lui s’éteint une des lumières de l’heure présente. Ils savent aussi ce que peut sur un corps débile une volonté puissante guidée par une conscience hautement stoïcienne et une vigoureuse pensée. Il fut une des belles figures de la philosophie et de l’enseignement français contemporains.

 Revue métaphysique et de morale. (Janvier 1926)


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