Vincentello d'Istria
Mort en 1434
Neveu
d' Arrigo
della Rocca et descendant du célèbre Giudice
di Cinarca, Vincentello s'exila en Sardaigne et exerça le métier
de corsaire, aux dépens des Génois.
Protégé par le roi d'Aragon,
qui en fit son lieutenant en Corse, ce soldat habile et rusé débarqua dans
l'île en 1404.
Il dut s'enfuir mais réussit son retour et s'imposa avec l'aide aragonaise
(seules Bonifacio et Calvi),
qui fut pourtant un moment occupée, restèrent acquises à Gênes).
Nommé vice-roi de Corse, il se conduisit en despote, suscita une rébellion générale
et fut contraint à la fuite.
Capturé par les Génois en mer, devant Bastia,
il devait être décapité à Gênes en 1434.
En guise d'épitaphe, Giovanni della Grossa écrivit: "Rien n'eût manqué
à sa gloire si, dans ses dernières années, il n'eût été abandonné à la
fois et par la fortune et par les hommes."
Bien qu’elle ait évincé Pise de la Corse, Gênes n’y exerce dans un premier temps qu’une autorité lointaine. A cette époque, la République ligure est déchirée par des luttes intestines entre grandes familles et soutient aussi une guerre éprouvante contre Venise. L’Aragon s’intéresse à la Corse et davantage à la Sardaigne. Le pape Boniface VIII saisit cette occasion pour conférer l’investiture de la Corse et de la Sardaigne à Jaime II d’Aragon en 1297, dans l’espoir de détourner ses prétentions sur la Sicile. L’investiture est renouvelée en 1305 et a pour effet de créer un parti aragonais dans l’île à côté des partisans de Gênes et de Pise.
La Corse est livrée aux appétits de factions rivales tandis que pirates et corsaires écument la mer alentour. L’anarchie féodale s’installe de nouveau dans l’île. L’alourdissement des impôts entraîne une remise en question de l’ordre établi et suscite réactions et soulèvements populaires. Ce mouvement s’inscrit dans celui des révoltes qui traversent toute l’Europe au XIIIe siècle. Pratiquement à la même époque, se produit en France la Grande Jacquerie de 1368.
Une première vague insurrectionnelle pousse les paysans à assiéger et à démanteler les « Castelli », seuls six en réchapperont : deux parce qu’ils sont tenus par Gênes, deux comme sièges de justice et deux autres, dans le Cap, pour des raisons de sécurité des liaisons maritimes commerciales. Le mouvement prend surtout naissance dans l’En-Decà-des-Monts, sous la conduite de Sambucuccio d’Alando. Ce chef populaire va contribuer, en 1358, à abaisser le régime féodal, à l’exception du Cap Corse.
A partir de cette insurrection s’établit en Corse la distinction entre la « Terra di Comune » et la « Terra di Signori ».
La « Terra di Comune » est un mouvement d’émancipation communale qui débouche sur l’organisation autonome de communautés rurales. Ce gouvernement « a popolo e a comune » est attesté en Italie comme en Corse bien avant cette période. Le règlement des affaires locales est décidé par une assemblée des chefs de famille, qui en général se réunissent dans l’église du village, pour désigner des « magistrats » chargés de l’exercice de fonctions exécutives : un podestat assisté de deux « pères du commun ». Au même moment, Gênes qui vient de triompher de la noblesse, connaît le régime dit des « populaires » avec le doge Simone Boccanegra. Boccanegra apportera son soutien à ce mouvement à la suite de la démarche effectuée en 1347 par des nobles corses. Libérées de la tutelle des seigneurs, les populations se placent d’elles-mêmes sous la protection de la « commune de Gênes ». Un accord est conclu en octobre 1358 entre Gênes et la Corse. Il s’agit d’un véritable contrat par lequel Gênes nomme un gouverneur chargé de l’administration de la justice, secondé par deux vicaires et assisté par un conseil de six Corses.
En contrepartie, les Corses versent à la commune de Gênes un impôt annuel, modeste (l’accato), acquitté par chaque chef de famille. Ce contrat servira, en définitive, à accentuer et à justifier l’emprise de Gênes sur la Corse.
Une réaction seigneuriale ne tarde pas à se manifester en 1375, en raison notamment de la tutelle lointaine de Gênes. Les seigneurs aidés des « caporali » (= caporaux). Les caporali (terme toscan) sont à l’origine des chefs populaires désignés pour défendre les intérêts des communautés rurales auprès de la république ligure et contre les excès et les abus des seigneurs. Ils ne tardent cependant pas à s’ériger, à leur tour, en véritables seigneurs, par la voie de chefferies locales et par détenir la réalité du pouvoir, entourés de leurs « clients ». Pour montrer leur puissance, ils édifient des maisons forteresses.
En 1378, Gênes financièrement affaiblie et militairement impuissante, afferme la Corse à une compagnie marchande, la Maona (mot d’origine arabe). La Maona est une délégation écrite de fonctions étatiques à une association privée d’armateurs et de commerçants. La Maona est chargée de « pacifier » la Corse en trois ans, moyennant le paiement d’une redevance annuelle symbolique. Gênes lui abandonne tous ses droits sur le sel, le fer et, d’une manière générale, sur tout le commerce. Elle doit également lui donner les moyens militaires de cette « pacification ». Les « Maone » les plus connues sont celles de l’île de Chio (1347), de l’île de Chypre (1373) et de la Corse donc en 1378.
La fronde des seigneurs, conjuguée aux très fortes réticences des communautés, entraînent l’échec de cette tentative. Un seul acte « positif » est à mettre à l’actif de la Maona : la construction, en 1383, de la citadelle de Bastia par le gouverneur Lomellini. Bastia sera désormais le siège du gouverneur génois dans l’île.
A la suite de l’échec de la Maona, le royaume d’Aragon, alors en pleine ascension, va au XVe siècle, intervenir plus directement dans les affaires de Corse et en particulier à l’appel des seigneurs insulaires dont le plus connu est Vincentello d’Istria.
Vincentello est le descendant direct de Giudice. Dépossédé de ses biens par un de ses cousins vicaire général de Gênes en Corse, il s’adonne à la piraterie contre les Bonifaciens et le commerce génois. Il se fait ainsi remarquer par les rois d’Aragon auxquels il rend hommage. Les rois d’Aragon lui offrent galère et soldats pour donner la chasse aux Génois. Vincentello débarque en Cinarca et devient rapidement maître de tout l’Au-Delà-des-Monts en 1405.
Débute alors une guerre de trente ans. En deux années à peine, Vincentello réalise la conquête quasi totale de la Corse. Il se fait proclamer comte de Corse par une Veduta (assemblée générale) puis s’empare de Bastia, mais Bonifacio et Calvi lui échappent. Gênes et ses alliés insulaires réagissent promptement. Vincentello en perdant toutes ses conquêtes, plus rapidement qu’il ne les avait acquises, est forcé de quitter la Corse en 1407. En 1408, il revient dans l’île à la tête de troupes siciliennes et essaie de s’attirer les feudataires par la promesse d’un partage des revenus. Cependant la campagne militaire qu’il entreprend est laborieuse. Il lui faut plusieurs années pour mettre au pas les seigneurs de l’Au-Delà-des-Monts, tandis que le Cap Corse et le nord de l’île lui échappent. La réaction génoise est vigoureuse. En 1415, il est battu dans son propre fief de Cinarca. Son protecteur aragonais, dont les intérêts politiques sont accaparés par la situation en Sardaigne, lui octroie quelques secours. Vincentello obtient des succès probants contre les troupes de Gênes, notamment à Biguglia en 1420 (c’est à cette date qu’il fonde la citadelle de Corte). Une nouvelle fois, Bonifacio et Calvi échappent à son emprise. Pour asseoir cette domination, Alphonse V, roi d’Aragon, se rend en personne dans l’île. Il s’empare de Calvi (1420) et y reçoit l’hommage des féodaux. Il va mettre le siège devant Bonifacio qu’il lève en décembre 1420 pour répondre à l’appel de la reine de Naples, sans héritier et dont il espère recueillir l’héritage. Resté seul en Corse, avec le titre de vice-roi, Vincentello règne en souverain de 1421 à 1434.
Sa chute est rapide et soudaine. Avec l’appui des caporali, il double le montant de l’impôt. Cette mesure lui aliène le peuple. Les caporali s’émancipent peu à peu de sa tutelle, créent des structures claniques, s’entre-déchirent ce qui finit par provoquer une réaction anticaporalice et antiféodale. Odieux et détesté, Vincentello perd tout en un mois à la suite d’un soulèvement général. En tentant de chercher des secours à l’extérieur, et sans doute trahi, il tombe aux mains des Génois. Conduit à Gênes, il est décapité en 1434.
Le bilan de ce « règne » est mitigé : la justice semble avoir été rendue avec équité, les exigences fiscales modérées. Toutefois, il est l’inventeur d’une mesure dont les effets pernicieux se feront sentir durant plusieurs siècles. En effet, pour s’attacher la fidélité des « caporali » il leur verse une véritable solde.
Désormais et par ce précédent, les caporali se « loueront » au plus offrant. Le personnage du « caporale », avec plus tard celui du « principale » devient l’un des paradigmes essentiels pour comprendre les évolutions la société insulaire.
La disparition de Vincentello favorise anarchie, chaos et turbulences de toutes sortes. Les communautés se tournent une fois de plus vers Gênes et plus précisément vers l’Office de Saint-Georges, qu’elles pensent plus capable de juguler l’insécurité et de réduire une nouvelle flambée mystique avec la confrérie des « Battuti ».