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tive à Avignon de son luxe et des rois de France, puis le grand schisme avait laissé les clercs sans direction. Les évêques comme les abbés avaient souvent contracté les mœurs de la féodalité laïque. En Corse les dignitaires ecclésiastiques même étrangers, quand ils n'étaient pas absents de leur siège, prenaient presque toujours parti dans les querelles politiques. La rivalité des Guelfe et des Gibelins avait été ici d'autant plus violente que certains prélats étaient suffragants de Gênes et les autres de Pise. Depuis que celle-ci vaincue avait renoncé à  l'île, c'est entre l'Aragon et la République ligurienne qu'au XIVe siècle les hostilités avaient continué et entraîné dans la mêlée le clergé insulaire. An commencement du XVe siècle la guerre, un moment calmée, allait recommencer entre ces deux puissances et la Corse entière, attirée par l'une ou par l'autre, devait être livrée au pillage et à la dévastation.

Pour le royaume d'Aragon en effet les affaires de Corse se rattachent à un plan remarquable de conquête dont le but était la formation d'un empire espagnol dans tant le bassin occidental de la  Méditerranée. Il n'y avait pas d'ans la péninsule ibérique d'état plus prospère et plus puissant. Depuis sa fondation au XIe siècle, il n’avait pas cessé de faire de grands progrès. Si les luttes de parti et les guerres civiles n'y étaient pas plus inconnues qu'en Castille, les pays catalans et aragonais trouvèrent facilement, grâce à leur sens politique, un modus vivendi acceptable qui fit régner l'ordre dans le pays. Ils étaient du reste tenus à beaucoup de prudence politique et intéressés à ce que l'accord régnât entre eux, car la domination musulmane menaçait leur indépendance et les invasions continuelles venues d'Afrique aux XIe et XIIe siècles réconciliaient obligatoirement les différentes classes de la population chrétienne. L'Aragon eut en outre la chance de posséder du XIIIe au XVe siècle un certain nombre de rois habiles qui facilitèrent ses succès.

La situation intérieure était supérieure à celle de

 

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beaucoup d’états à cette époque. La nécessité pour les trois ordres de lutter de concert contre le danger musulman avait créé une noblesse fière et turbulente, éprise de liberté, toujours prête aux expéditions lointaines de Corse et de Sicile. À ces croisades nationales le clergé avait gagné une richesse et une puissance plus grandes que partout ailleurs ; il avait prêché contre l'infidèle une guerre sans trêve ni merci, enrôlé à sa suite toute la  population et ce rôle national l'avait rendu très populaire. D'autre part la bourgeoisie et le Tiers, qui avaient fourni les milices urbaines, avaient été favorisées. Au fur et à mesure que la conquête avançait, ils fondaient des villes qui jouissaient de libertés étendues ou Communidades, et avaient leurs alcades justiciers, leurs corregidors et leurs fédérations ou Hermandad. Un conseil municipal ou Junte dirigeait les affaires de la  cité. Cet ensemble de  droits et de privilèges appelés  « fueros » donnait à la classe inférieure une indépendance qu'on ne retrouve dans aucun autre pays. L'Aragon posséda un fuero général, plus libéral que la grande charte anglaise ; il eut ses Cortés ou assemblée des délégués de la nation qui réunis tous les deux ans votaient les subsides après avoir obtenu le redressement de tous les griefs. L'arbitraire royal était énergiquement combattu ;  le prince ne pouvait ni proroger ni dissoudre les députés. Il les présidait, mais ses propositions n'étaient admises qu'à l'unanimité des voix comme cela se pratiquait en Pologne avec le liberum veto. Son autorité était limitée par une magistrature particulière dite du Grand Justicier, inviolable et inamovible, qui défendit la légalité contre le bon plaisir monarchique et put même faire appel à l'insurrection.

Cette liberté excessive tenait la prérogative royale enfermée dans d'étroites limites (1). Sans doute faut-il

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 (1) À son avènement le roi d'Aragon prêtait entre les mains du Justicier le serment original de respecter les privilèges de son royaume. Le Justicier à   son tour y répondait de cette manière : « Nous qui séparés valons autant que vous et qui réunis pouvons bien d'avantage, nous vous faisons roi à  condition que vous respecterez nos fueros, sinon non. »

 

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chercher dans ce fait l’explication de la sympathie que la noblesse Corse indisciplinée et férue d’indépendance manifesta toujours pour le roi d’Aragon, suzerain trop éloigné pour être redoutable ; mais il ne faut pas oublier que dans ce pays très catholique le souverain avait un caractère religieux qui servait de lien avec ses sujets et quand il avait quelque valeur personnelle, comme cela se produisit fréquemment, il exerçait une réelle prépondérance. Ce sont les princes eux-mêmes qui contribuèrent le plus à la rédaction de ce code de législation dit de Huesca qui, en 1404, comprenait plus de 700 lois rédigées en quinze livres et c'est par la connaissance exacte de leurs droits réciproques que le roi et ses sujets vivaient en bon accord.

Aussi comprend-on l'extension territoriale de ce royaume qui, déjà agrandi du comté de Valence en 1137, s'était accru de celui de Barcelone, où la liberté était plus grande encore que dans l'Aragon et en 1291 de la Sicile. Un de ses rois avait même forcé les Génois à se reconnaître vassaux pour la Corse que le pape venait de lui donner en fief ; en 1315 il avait conquis la Sardaigne et un peu plus tard les Baléares. La couronne aragonaise passa en 1411 dans la famille des princes de Castille dont l'infant réunit alors un tiers de l'Espagne continentale et domina sur tout le bassin occidental de la Méditerranée. Sa fortune politique n'avait d'égale que sa prospérité économique. Dès le XIIIe siècle Barcelone était devenue un grand port de commerce. Elle avait fait coordonner les coutumes nautiques de la diterranée et du Levant dans un livre devenu célèbre : le livre du Consulat de la mer. Le code fut adopté par  presque toutes les nations maritimes de cette Méditerranée ; il y fut considéré comme la loi par excellence, an même titre que les Rôles d'Oléron dans l'Atlantique.

Au XVe siècle Barcelone est l’un  des plus grands entrepôts de l'Europe. Avec son arsenal magnifique, son port fortifié, ses chantiers de construction, ses magasins, son consulat, sa banque, la ville peut rivaliser avec

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Gênes et Venise. La marine est devenue l’occupation principale des Catalans ; leurs navires sont réputés par leur légèreté et tous les états viennent les affréter. La protection intelligente des rois a favorisé cet essor ; les franchises dont les navires aragonais jouissent dans tous les ports soumis à   leur domination, Corse et Sardaigne comprises, expliquent en partie cette prospérité. On trouve des navires de Catalogne en Barbarie, en Syrie, en Egypte, en Chypre, à Rhodes, à Candie, en Morée et dans l'Empire grec. Presque partout ils ont leurs consulats, leurs « loges » et leurs entrepôts. Ils rivalisent avec les Génois et les Vénitiens, supplantent les premiers à Chypre et les seconds à Constantinople. Ils deviennent parfois corsaires, arrêtent les navires chargés d’épices et de marchandises précieuses de ces deux Républiques et se font payer rançon. En 1400 ils venaient de fonder une grande compagnie catalane dont l'audace épouvantait l'Orient grec, latin ou musulman et on pouvait prévoir aux XIVe et XVe siècles la création d'un grand empire aragonais, à la fois territorial et économique, dont la réalisation sembla presque assurée lorsque Alphonse V devint en 1420 l'héritier de la reine de Naples.

Comment s'étonnerait-on maintenant de l'inquiétude des Génois et de leur jalousie pour un rival heureux auquel ils se heurtaient dans toutes leurs entreprises et qui protégeait même leurs ennemis (1.) À une époque où le commerce ligurien traversait une crise due à l'anarchie et à l'arrivée de nouveaux concurrents, ce rival leur avait enlevé la Sardaigne, les dépouillait peu à peu du commerce du Levant et voici qu'il leur disputait la Corse. On sait de nos jours combien la lutte économique met aux prises les nations européennes et quels graves dangers la concurrence commerciale fait courir à la paix mondiale. Dans ce XVe siècle de troubles, la haine et la jalousie n'étaient pas moins dangereuses et plus

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(1) À plusieurs reprises les rois de Chypre attaqués par les vaisseaux génois furent secourus par les Catalans

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d'une guerre eut pour cause la rivalité sur mer de Gênes, Pise, Venise et Barcelone. Le bonheur des Catalans surexcitait les Génois. Depuis sa victoire sur les Pisans à la Méloria en 1284 et l'occupation de Bonifacio la, République avait été ensanglantée par les guerres intestines. L'institution en 1190 d'un podestat qui devait être pris en dehors des citoyens pour éviter les jalousies et les partialités et servir d'arbitre en exerçant les fonctions judiciaires, n'avait pas donné les résultats espérés ; on en était arrivé à confier le pouvoir à des princes ou à des gouvernements étrangers. Les familles guelfes des Fieschi et des Grimaldi, alliées du pape, avaient chassé de la cité les Doria et les Spinola inféodées à  l'influence impériale en Italie et reconnues comme gibelines. Gênes assaillie par les exilés n'avait dû son salut qu'à l'arrivée de Robert d'Anjou, roi de Naples, appelé au secours des assiégeants (1319). Depuis lors les luttes entre les deux factions d'une part, entre le  peuple et l'aristocratie de l'autre pour la conquête de la dignité ducale, créée en 1339, n'avaient jamais cessé. En même temps la cité avait à combattre l'hostilité de Venise qui ne pardonnait pas à Gênes de lui  avoir ravi en partie son influence dans le Levant par la destruction de l'empire latin de Constantinople. Les Vénitiens en effet avaient concouru à sa fondation en 1204 ; les Paléologues le renversèrent avec l'aide des Génois et pour leur profit. En 1350, puis en 1378 une guerre longue et difficile avait éclaté entre les deux Républiques. Gênes avait du recourir à l'intervention étrangère. La première fois elle s'était donnée au seigneur de Milan, l'archevêque Jean Visconti ; la deuxième, obligée de faire face à la coalition de Milan et de Venise, elle avait été heureuse, après la destruction de sa flotte, d'accepter la médiation du duc de Savoie qui avait rétabli la paix. Et tandis que son adversaire allait reconquérir Candie, puis la Dalmatie, s'emparer du territoire de Padoue, devenir l’une des métropoles commerciales de la Méditerranée, Gênes continuait à s'affaiblir

 

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