Cérémonie de dévoilement de la plaque sur la maison natale de François Colonna d’Istria, philosophe né le 27 septembre 1864 par Charlotte Colonna d’Istria, suivie de l’attribution de son nom à une rue de Sollacaro par le Maire, Monsieur Alex Mondoloni, et son conseil municipal, le vendredi 10 mai 2013, à 10 et 11h.
François Colonna d’Istria 27 septembre 1864 - 24 décembre 1925
François Colonna d’Istria 27 septembre 1864 - 24 décembre 1925
Cérémonie de dévoilement de la plaque sur la maison natale de François Colonna d’Istria, philosophe né le 27 septembre 1864 par Charlotte Colonna d’istria, suivie de l’attribution de son nom à une rue de Sollacaro par le Maire, Monsieur Alex Mondoloni, et son conseil municipal, le vendredi 10 mai 2013, à 10 et 11h.
Monsieur le Conseiller général, Monsieur le Maire, messieurs les conseillers municipaux, monsieur le président et les membres de l’Association pour l’Etude Généalogique et Historique de la Famille Colonna d’Istria, Charlotte, François, parents, amis, mesdames et messieurs,
Avec l’accord de sa famille - sa nièce Charlotte, son neveu Louis, ses petits neveux Albert et François, par souci de vérité historique qui me titillait, celui de rendre à César ce qui revient à César, je me propose aujourd’hui, de vous dire quelques mots sur le philosophe François Colonna d’Istria, né ici même le 27 septembre 1864, là ou il a passé son enfance.
C’est un grand honneur pour moi, mais également une grande joie de voir aboutir un souhait que nous caressions depuis plusieurs années, nous, ses parents, et tous ceux qui connaissent la vie et l’œuvre de François Colonna d’Istria.
La double cérémonie d’aujourd’hui n’aurait pu se dérouler sans les efforts de sa famille nous l’avons dit, sans celles de l’association pour l’Étude Généalogique et Historique de la famille Colonna d’Istria, mais aussi sans la bienveillance, la bonne compréhension, et la volonté de la Municipalité de Sollacaro, celles de son Maire, Alexandre Mondoloni et celles de ses Conseillers Municipaux.
François Colonna d’Istria était une personnalité singulière, hors du commun, s’il en fut, un peu oubliée certes aujourd’hui, hélas ! Mais que son œuvre - heureusement éditée en son temps, en partie du moins, quand elle n’a pas été commentée brillamment par ses contemporains - que son œuvre donc immortalise, telle celle d’un Académicien ... qu’il aurait pu être d’ailleurs.
Certains d’entre vous ont du, au fil de leurs lectures ou au cours de leurs études universitaires, croiser son nom sans y prêter une attention particulière, pour peu qu’ils aient lu Machiavel, Spinoza ou encore Jean-Paul Sartre... car celui dont nous honorons aujourd’hui la mémoire, était bien un philosophe ! Machiavel donc, parce qu’il a traduit « Le Prince » en français ; Spinoza parce qu’il en a commenté et présenté la première édition française de « l’Ethique »; Sartre parce que sans les cours magistraux de François, l’auteur de « la Nausée » ne se serait sans doute jamais mis à l’étude de la philosophie...
Mais avant que de parler de son œuvre, avant que d’évoquer l’enseignant remarquable qu’il fut, voyons voir l’homme qu’il était....
1/ L’homme.
Et pour faire un portrait rapide de l’homme, j’ai choisi de me reporter à un texte rédigé par un autre enfant de la région, Vincent de Peretti, qui, dans un chapitre extrait de son recueil « Poésie et proses », publié à Nîmes en 1948, et justement intitulé « un Maître », brosse le portrait de François :
Je cite les propos de Vincent de Peretti, en préambule à son portrait :
« Il appartenait à l’une de ces vieilles familles corses, qui, dans la plupart des régions de l’île, ont toujours compté dans leur sein des hommes de ferme caractère et d’intelligence fine ».
« Sauf des cas exceptionnels, il semble difficile à certains hommes que leurs travaux désignent à l’estime publique d’obtenir une renommée en rapport avec leurs mérites. Ils doivent cette défaveur relative à la nature de leur activité un peu localisée bien qu’elle embrasse l’Univers visible et invisible : ce sont les philosophes.
Tel est le cas de François Colonna d’Istria »
Né ici même, à Sollacaro en effet, le 27 septembre 1864, il y passa sa petite enfance gravement perturbée cependant par un stupide accident, aux conséquences irrémédiables et permanentes, à deux pas d’ici quand il tomba du mur de l’église et se cassa la colonne vertébrale. Il en sortit malheureusement difforme pour toujours, mais grandi dans une force d’âme peu commune.. Il fut un excellent élève du lycée Fesch d’Ajaccio avant que de poursuivre de brillantes études à Aix en Provence. Agrégé en 1885, il a 21 ans.
Il enseignera ensuite, à Oran, à Bar-le-Duc, à Besançon, à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, puis au lycée Louis Le Grand à Paris et encore à l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay aux Roses, « Normale Sup’ », plus communément appelée. Il enseigna jusqu’à sa mort, à Paris, le 24 décembre 1925. Il fut aussi membre du jury d’agrégation de philosophie. Sa réputation a fait le tour de France des Académies. Jamais au grand jamais, il n’a laissé indifférents ses élèves. Nombreux seront ceux, qui, plus tard, un fois célèbres se souviendront dans leurs écrits du professeur Colonna... ainsi de Paul Morand, Paul Nizan, Emmanuel Berl, Jean Guitton, Jean-Jacques Bernard le fils de Tristan Bernard, Gabriel Marcel, Henry Gouhier, Raymond Aron, Léon Daudet...et Jean-Paul Sartre, sur lequel nous reviendrons tout-à l’heure...
Il passa donc le plus clair de son temps à enseigner...
2/ L’enseignant
Agrégé donc, à 21 ans, sa carrière d’enseignant a été marquée par des anecdotes qui ont contribué à sa renommée encore vivante plus d’un siècle plus tard. Je n’en rapporterai ici que deux, mais elles sont emblématiques du personnage et lui font honneur pour l’éternité.
La première est rapportée dans la nécrologie sans doute rédigée par Xavier Léon, publiée à la suite du tout dernier article du Maître, paru dans le premier numéro de l’année 1926 de la « Revue de Métaphysique et de Morale », un article, posthume donc, qu’il avait rédigé sur « la psychologie de Bichat » :
Voici ce qu’écrit Xavier Léon :
« La nature avait été pour lui à la fois cruelle et prodigue. Elle lui avait donné un corps douloureux. Noué, dès l’enfance - il était tombé d’un arbre et s’était cassé la colonne vertébrale semble-t-il ?- Colonna avait conservé les dimensions d’un nain. Sa colonne vertébrale était péniblement tordue ; ses jambes supportaient mal le poids de son torse....à la fin de sa vie, tout déplacement lui devenait très difficile... », et voici maintenant la première anecdote rapportée dans la même page, attribuée à Xavier Léon :
« enseignant à Paris, à l’ENS, on l’envoya cependant à Lyon pour, je cite « rétablir l’ordre et le goût du travail dans une immense classe indisciplinée de l’ENS de cette ville... C’est là que, le jour de son arrivée, il posa sa montre sur la chaire et dit aux élèves : « vous avez cinq minutes pour rire », attendit cinq minutes pleines dans un silence devenu religieux, puis commença son cours, que jamais rien ne devait plus troubler. C’est que sa parole était passionnante. Il savait mettre un problème dans sa pleine lumière. Il en montrait, avec une lucidité merveilleuse tous les aspects historiques. Il soulevait les esprits. Il les forçait à penser.... ».
Et Xavier Léon d’ajouter toujours en parlant de la force morale de François : Il montre « ce que peut, sur un corps débile, une volonté puissante guidée par une conscience hautement stoïcienne et une vigoureuse pensée ».
Cette force de conviction, cette conscience, cette vigoureuse pensée, cette séduction par la parole nous les voyons à nouveau s’exprimer à propos de la seconde anecdote, rapportée par son acteur lui-même, dans ses écrits les plus personnels et les plus philosophiques...
Jean-Paul Sartre, interrogé en 1975 par un journaliste - Michel Rybalka - sur sa vocation de philosophe avouera ne s’être pas intéressé à la philosophie, ni en classe de philosophie, ni même en hypokhâgne... « Je ne comprenais rien à ce qu’il disait », en parlant de son professeur... Puis d’ajouter : « C’est en Khâgne que je me suis décidé, avec un nouveau professeur, Colonna d’Istria, un infirme, petit, tout petit, blessé.... le premier sujet de dissertation qu’il a donné, en conseillant de lire Bergson, était : « Le sentiment de durer ?» J’ai donc lu l’ « Essai sur les données immédiates de la conscience », et c’est cela qui m’a brusquement donné envie de faire de la philosophie ». J’ai trouvé dans ce volume la description de ce que je croyais être ma vie psychologique »... et Jean-Paul Sartre de rappeler dans « Situation », que, captivé par les cours de « Colonna d’Istria », il avait enfin découvert sa vocation !
« La description de ce que je croyais être ma vie psychologique » nous dit Sartre... « Psychologique...psychologie »... C’est bien là le mot - clef qu’il faut attacher maintenant à l’œuvre de notre philosophe sollacarais ; Et l’auteur de « la Nausée » ne s’y est pas trompé, lui qui découvre la psychologie grâce au petit corse !
L’enseignant était lui-même un philosophe !
3/ le philosophe.
Nous avons d’abord évoqué l’homme, éprouvé, nous avons ensuite suivi le brillant enseignant, mais s’il est un troisième aspect chez François qui mérite que l’on s’intéresse à lui encore plus, aujourd’hui, et sans doute encore plus demain...c’est son apport personnel, sa contribution intellectuelle à la philosophie, celle de son temps, particulièrement à travers ses recherches et ses publications justement, sur l’évolution de la notion de « psychologie » en particulier, une science en plein devenir à l’orée de ce XX ème siècle, et avant la découverte de la psychanalyse avec Freud, mais aussi, et nous le verrons plus loin, sur les grands thèmes de la philosophie universelle.
Ses Travaux vont heureusement être édités, en partie dans la « Revue de Métaphysique et de Morale », en partie chez les éditeurs spécialisés à cette époque : Armand Colin, librairie Bloud, ou encore Félix Alcan, ces deux derniers éditeurs aujourd’hui disparus.
a/ La « Revue de Métaphysique et de Morale ».
Le support médiatique qui va lui permettre de s’exprimer est la « Revue de Métaphysique et Morale » dirigée par Xavier Léon, et soutenue par l’Institut. Ainsi paraitront une douzaine d’articles tous remarquables et remarqués, sur une période allant de 1889 à sa mort en 1925.
Sa connaissance des sciences de la vie et ses études des vieux médecins français comme Pinel l’ont en effet conduit tout-à la fois à faire le point sur la notion de psychologie en son temps, mais aussi à la faire évoluer avec des philosophes et des médecins contemporains, dont les noms sont encore aujourd’hui connus de tous : Xavier Léon, Léon Brunschvicg, Cabanis, Bichat, Bergson, Maine de Biran, Victor Cousin... tous sont ses collaborateurs à la « Revue de Métaphysique et de morale ». Il leur a d’ailleurs consacré à chacun, un article : « Ce que la médecine expérimentale doit à la philosophie » (1904) ; « Bichat et la biologie contemporaine » (1906) ; « Cabanis et les origines de la vie psychologique » (1911); « Les formes de la vie psychologique » ( 1912) ; « l’influence du moral sur le physique, d’après Cabanis et Maine de Biran » ( 1913) ; « la religion d’après Cabanis(1916) ; « La logique de la médecine, d’après Cabanis »( 1917) ; « la psychologie de Bichat »(1926)...
Dans son article nécrologique, cité plus haut, Xavier Léon, parlant de la méthode et du style de François écrivait : « Il était versé dans toutes les sciences. Il possédait de plus, une connaissance extrêmement étendue des diverses périodes de l’histoire de la pensée... ».
A ce propos, revenons à Vincent de Peretti qui commente les articles de François publiés dans « la Revue » :
« .... Les articles de Colonna insérés dans « La revue » sont conçus et conduits dans un esprit d’indépendance et avec une profusion de moyens qui disposent du sujet et de sa bibliographie de manière à en dégager les suggestions sous l’aspect le plus actuel ».
François Colonna d’Istria n’est pas seulement l’homme de la « Revue de Métaphysique et de Morale », même s’il en est l’un des collaborateurs parmi les plus précieux et les plus efficaces pour l’histoire de la philosophie au début du XXème. siècle. Nous l’avons dit plus haut, c’est aussi un philosophe de type « universel », prolixe dans ses recherches, infatigable travailleur de la pensée, et même si l’on peut, avec Xavier Léon affirmer que « son œuvre écrite représente une faible partie de lui-même » il aura eu le temps de publier des ouvrages qui font autorité un siècle plus tard quand ils n’ont pas permis une avancée considérable dans l’histoire même de la pensée...
b/ l’écrivain, le philosophe universel...
François travaillait sans cesse sur de grands textes universels. Il traduisait, il présentait, il commentait, il annotait, il préfaçait, il publiait...
... Ainsi en 1889, il est l’auteur de la première traduction en français de l’essai de Cesare Lombroso : « l’Homme de génie »... Une œuvre essentielle et incontournable dans l’histoire des sciences humaines et pour la connaissance de la psychologie humaine. Sa traduction n’a jamais été remise en cause et reste aujourd’hui encore la seule sur le marché, 120 ans après !
... Ainsi, en 1896, il participa au concours pour le Prix Victor Cousin avec une étude sur « Philon le Juif » qui a eu l’insigne honneur de recevoir le Grand prix de l’Institut - l’Académie des sciences morales et politiques - un Prix qu’il partagea avec Edouard Hérriot...
... Ainsi en 1907, il publie la toute première traduction française de « L’Ethique » de Spinoza, réalisée par le Comte Henri de Bougainvilliers d’après un manuscrit du XVII ème siècle. Il en rédigera l’introduction et les notes....
... Ainsi enfin, pour ce que nous connaissons aujourd’hui de l’œuvre publiée de François Colonna d’Istria, une traduction du « Prince » de Machiavel, hélas que notre philosophe n’a pas eu le temps de corriger avant de mourir en décembre 1925, une traduction revue par Paul Hazard, professeur au Collège de France et finalement publiée en 1929. Cette œuvre, posthume donc, a été maintes fois rééditée et est disponible encore de nos jours chez certains éditeurs.
C’est grâce à la mémoire de sa nièce, Charlotte, mais aussi aux documents qu’elle a précieusement conservés, que j’ai pu d’abord connaître l’existence même de François Colonna d’Istria, puis m’intéresser à sa vie et à son œuvre. J’ai découvert alors un être exceptionnel mais dont on ne connaît pas grand-chose encore aujourd’hui, hors les quelques anecdotes que je vous ai rapportées tout-à l’heure. De plus, je ne suis ni historien, ni généalogiste et encore moins philosophe. C’est pourquoi, si nous avons souhaité attirer l’attention aujourd’hui sur l’existence de cette haute figure de la pensée, c’est bien aussi et surtout dans le but que des chercheurs, des spécialistes, des philosophes, des étudiants peut-être prennent le relais, à leur tour, pour étudier sérieusement l’œuvre de François et la faire connaître comme il se doit. Il a laissé en effet de nombreux documents, des travaux inachevés - il préparait une autre thèse, on le sait- une abondante correspondance avec des philosophes contemporains, français, italiens et allemands....des cartons entiers, répertoriés, côtés, n’ont jamais été ouverts, et dorment encore aujourd’hui dans la Bibliothèque Victor Cousin à la Sorbonne, dans la Bibliothèque Nationale François Mitterand, d’autres encore dans les archives des Presses Universitaires de France...
C’est donc un appel que je lance. Je passe le relais...
Je terminerai cette ébauche de portrait par une phrase rédigée sans doute par Xavier Léon, rédacteur et animateur de la Revue de Métaphysique et de Morale dans la nécrologie qui clôt ce numéro de janvier-mars 1926 et qui contient, je vous le rappelle, un article posthume de François Colonna d’Istria sur « la psychologie de Bichat » :
« Ceux qui ont eu la chance de son amitié - écrit le rédacteur - ne l’oublieront pas. Ils savent qu’avec lui s’éteint une des lumières de l’heure présente...Il fut une des belles figures de la philosophie et de l’enseignement français contemporains ».
J’ai dit, chers amis.
Jean-Jacques Colonna d’Istria, ce 10 mai 2013